Tribune
COVID : un déficit de prévention

Un désarmement prématuré face à la pandémie
“Après le covid…” Cette expression, désormais banale, montre à quel point la pandémie de COVID est largement vue, dans la France de 2025, comme appartenant au passé. Cependant ce sentiment collectif d’avoir tourné la page repose sur une vision tronquée de ce qu’est le SARS-CoV-2 et de ce qu’il nous fait. Personnes et organisations directement concernées par le COVID ou attentives à ses effets, attachées à la cause de la Santé Publique à titre personnel ou professionnel, nous avons sur ce sujet une expérience de première main et menons, avec nos homologues dans plusieurs pays, une veille scientifique. Ses résultats ne vont pas dans le sens d’une disparition du COVID ni de ses effets.
D’abord, le virus court toujours, comme on peut le constater en France et ailleurs à travers le suivi de sa concentration dans les eaux usées. L’OMS rappelle régulièrement qu’elle n’a pas déclaré la fin de la pandémie, mais celle de l’urgence sanitaire de portée internationale. L’“immunité hybride”, entre infection préalable et vaccination, a-t-elle mis le SARS-CoV-2 hors d’état de nuire ? Non, et la recherche montre qu’il détériore les systèmes immunitaire et vasculaire. Le virus a-t-il muté de lui-même vers des variants bénins ? Non plus : si les symptômes de l’infection aiguë ont eu tendance à s’atténuer, cela n’a pas mis un terme à ses effets différés et prolongés.
Sa virulence est-elle réservée à une frange bien circonscrite de “vulnérables” désignés par leurs maladies évidentes ou par le grand âge, qui aurait à porter seule le poids de la prévention ?
Ce choix, qui serait éthiquement problématique, ne correspond pas à la réalité de vulnérabilités différenciées mais sans exception. Les publications récentes de groupes d’experts des sociétés européennes de neurologie et de cardiologie rappellent que personne n’est invulnérable.
Le laisser-faire pandémique, fardeau des finances publiques

La chambre des comptes, Henri Baude
En dehors de la recherche, les comptes publics ne reflètent-ils pas eux aussi le poids persistant du COVID, à travers le bond des dépenses de l’assurance maladie entre avant et “après” la pandémie ? Les Inspections générales des Affaires sociales et des Finances ont souligné que deux tiers de l’augmentation des arrêts de travail pour raison de santé dans le régime général entre 2019 et 2022 étaient directement liés au COVID. Pour l’année 2024, the Economist impact estimait à 21 milliards, soit 0,6 % du PIB, le coût des arrêts de travail liés au COVID long (hors soins) en France. Cela n’est qu’une évaluation des coûts macro-économiques directs de cette pathologie. Sur le plan humain, ce sont des vies bouleversées, et un recours à la solidarité nationale lui-même fragilisé par la difficulté du diagnostic.
En faisant l’impasse sur le rôle du COVID dans l’augmentation des arrêts-maladie ces dernières années, les forces d’opposition progressistes laissent le gouvernement légitimer des réformes austéritaires (jours de carence, limitation des indemnités pour arrêt maladie, contrôle de leur prescription…) par la sempiternelle stigmatisation d’un peuple “absentéiste” qui aurait perdu le goût du travail. Ces “remèdes” gouvernementaux sont contre-productifs.
En effet, moins on est indemnisé en cas d’arrêt court, moins on s’isole lorsque l’on est infecté, et plus on contamine les autres. Désinciter à la prévention n’améliorera ni les comptes de la Sécurité sociale, ni la santé de la population, dont la part déjà touchée par la maladie ou le handicap voit “la dette” servir d’alibi à la suppression de ses maigres moyens de subsistance.
Un endettement dont on néglige de protéger nos concitoyens
Sous prétexte de “retour à la normale” après un dispendieux “quoi qu’il en coûte”, nous continuons à accumuler sourdement dans notre chair une dette pandémique, due à une politique publique irresponsable de “laisser faire, laisser aller”. Les mécanismes physiologiques de l’infection au COVID mis en lumière par la recherche sont en effet de nature à dégrader considérablement à long terme la santé d’une population qui, mal informée, ne s’en protège pas. Or, si une dette financière peut se renégocier, ce n’est pas le cas d’une détérioration profonde de l’état sanitaire d’un pays.
Au moment où, sous la devise fallacieuse “Make America Healthy Again”, les États-Unis prennent l’antivaxisme pour colonne vertébrale de leur politique de Santé publique, ce domaine devrait au contraire bénéficier en France de mesures concrètes, comme le port du masque dans les lieux de soins ou non-aérés, le “plan air” promis en 2022 ou encore un investissement dans la recherche médicale liée au virus.
Les incantations sur la préparation aux crises à venir ne suffiront pas. Face à une pandémie qui se poursuit, il est encore temps de mieux faire, au lieu de livrer la Santé publique à un abandon coupable et coûteux.
Signataires (lorsque le poste de la personne dans un collectif est noté, la signature est pour le collectif – en gras) :
Solenn Tanguy, présidente de Winslow Santé Publique
Thierry Amouroux, porte-parole du syndicat national des professionnels infirmiers SNPI
Yakoubi Nora, éducatrice spécialisée, Présidente de l’association Action Covid Long
David Simard, docteur en philosophie de la santé, Université Paris Est – Créteil
Louis Lebrun, médecin spécialiste de santé publique
Odile Maurin, présidente d’Handi-social, militante antivalidiste et élue locale
Priscilla Ribeiro, Présidente de l’association Covid Long Solidarité
Sophie, trésorière du SNJMG, Syndicat national des jeunes médecins généralistes
Alexandre Monnin, enseignant-chercheur
Gwen Fauchois, ex vice-présidente d’Act Up-Paris
Laetitia REBORD, Paire-aidante en santé sexuelle et handicap, Sexpair
Michaël Rochoy, médecin généraliste
Nima SADAGHIANI, médecin généraliste
Matthieu Piccoli, médecin des hôpitaux.
Michela Frigiolini. Act Up-Paris 1992. Activiste lesbienne.
Julie Grasset, présidente association CoeurVide19
Pierre-Étienne Marx, au nom du STJV, Syndicat des Travailleureuses du Jeu Vidéo
Olivier, Lek Lafferrière
Florence Rozenbaum, Médecin
Florence Dellerie, illustratrice scientifique et vulgarisatrice
Thomas Rampin, inspecteur élève du travail, Sud TAS
Sabrina Sellami, Vice-Présidente CoeurVide19
Cathie ERISSY, Secrétaire Générale de l’Association de Promotion de la Profession Infirmière APPI
Raphaëlle Fourlinnie, Ingénieure d’étude, Winslow Santé Publique
Priscillia Fautrat, pour le Mask Bloc Bordeaux
Céline Extenso, militante antivalidiste, cofondatrice des Dévalideuses
Delphine Crespo, patiente experte COVID long, présidente d’une association Covid Long en Espagne (à titre individuel).
Le Mask Bloc Paris
Armelle vautrot, professionnelle santé et éducation
Lucie Dubois, doctorante à l’Université de Strasbourg
Maxime Scaduto, Doctorant en sciences de gestion, Laboratoire HuManiS