Bannière de présentation de la table ronde n°3.

Modératrice : Karen Erodi, députée et membre de la Commission des Affaires sociales

IntervenantEs

  • Morgane, militante de Winslow Santé Publique
  • Stéphane Corbel, membre d’AprèsJ20
  • Michel Zumkeller, ancien député français et auteur de la proposition de loi sur le COVID long de 2022
  • Alexandre Monnin, philosophe

Retranscription 

Karen Erodi introduit la thématique de la table ronde et présente les intervenantEs.

Michel Zumkeller démarre sa prise de parole en remerciant N. Abomangoli pour avoir organisé ce colloque car selon lui le principal sujet c’est déjà de ne pas oublier. Les malades sont d’abord victimes de l’oubli, personne ne sait qu’ils sont là et ça ne fait qu’empirer avec le temps qui passe. Il appelle à ce que les parlementaires de tous bords politiques continuent le combat du COVID Long. Il revient sur la loi COVID Long qu’il a porté et qui n’a toujours pas ses décrets d’application après 3 ans. Il parle d’une lueur d’espoir concernant cette loi car Covid Long Solidarité et Winslow Santé Publique ont présenté un recours devant le Conseil d’État examiné il y a 2 semaines et qui donnera son résultat vers le 20 juin. Le rapporteur public, dont l’avis est souvent suivi par le Conseil d’État, va dans le sens des association, notamment sur le fait que la publication des décrets d’application a pris beaucoup trop de temps et que le gouvernement doit les publier. Il appelle les personnes présentes à relayer massivement le résultat du recours.

Il explique également qu’il y a une grosse inertie de l’Assurance Maladie qui ne veut absolument pas qu’on parle de cette loi alors même qu’elle a été associée et a pu apporter des modificiations, tout comme les services du gouvernement. Il décrit le travail parlementaire autour de cette comme très long et très diplomatique : “On a tout fait pour que ça se passe. On a arrondi certains angles et ça a été voté à l’unanimité.” Il pense que le gouvernement pariait sur le fait que la loi ne passerait pas devant le Sénat et que si le tribunal donne raison aux associations, il faudra lutter encore davantage contre cette inertie. Il revient sur la question posée hier au gouvernement par N. Abomangoli justement au sujet de la publication des décrets d’application de cette loi et est scandalisé par le comportement du gouvernement qui est parfaitement au courant qu’il y a un recours et donc un risque pour eux mais continuent de produire un discours rassuriste. Pour lui, c’est un scandale sanitaire et démocratique : “Vous êtes député, vous votez des lois, elles sont bonnes ou pas bonnes mais ce n’est pas à eux d’en juger et elles doivent être apppliquées.” Il rapporte les impressions d’autres députéEs qui ont questionné à maintes reprises le gouvernement sur le sujet et ont senti que c’était de pire en pire, avec un gouvernement qui faisait comme si le COVID Long n’existait plus et qu’il n’y avait plus de malades donc rien à faire. Il finit par appeler encore une fois à continuer le combat et se dit rester disponible.

Morgane prend ensuite la parole. Elle commence par s’excuser auprès de l’audience en prévenant qu’elle risque de perdre sa voix pendant son intervention car c’est l’un des symptômes de son COVID Long : “C’est ironique que j’intervienne sur ce sujet parce que je perds ma voix littéralement et métaphoriquement depuis que je suis malade.” Elle décrit ensuite ce qu’elle a dû faire en amont de l’événement pour espérer venir : rester enfermée chez elle alitée dans le noir pendant plusieurs jours. Son compagnon et aidant a dû aussi poser un jour de congé pour l’accompagner car elle ne peut plus se déplacer seule à cause de ses problèmes d’équilibre et doit se déplacer en fauteuil roulant. Elle a aussi payé un taxi elle-même alors qu’elle vit en-dessous du seuil de pauvreté. Elle explique qu’elle devra appliquer le même protocole dans les jours à venir si elle veut espérer revenir à son état de base : “Vous ne nous voyez que quand on est en état d’être vu. Et pour être en état d’être vu on doit renoncer à énormément de choses.”

Elle raconte également ne plus avoir de vie sociale et avoir dû annuler tous ses rendez-vous médicaux pour pouvoir venir. Elle poursuit par une citation de l’épidémiologiste américain Ziyad Al-Ali, spécialiste du COVID Long : « Nous sommes confrontés à une crise. Mais malheureusement, à bien des égards, cela est vraiment invisible pour la personne moyenne dans la rue, car beaucoup de ces patients Covid Long, qui sont en réalité gravement touchés, sont au lit ou à la maison. Ils sont les millions d’entre nous qui manquent sur le marché du travail, qui manquent aux fêtes, qui manquent aux anniversaires. »

Elle appelle ensuite à mettre en oeuvre une campagne d’information de grande ampleur sur ce qu’est le COVID Long, ses différentes formes et représentations, et comment s’en protéger. Elle fait le lien avec le processus d’invisibilisation de la maladie en parlant notamment du déremboursement des tests PCR qui complexifie le diagnostic de COVID Long et empêche les personnes infectées par le virus du COVID de comprendre ce qui leur arrive : “On a besoin de représentations pour pouvoir se figurer ce qui est en train de nous arriver, ce qu’il se passe dans notre corps et ce qu’est notre maladie.”

Au-delà de l’information auprès du grand public, elle demande à ce que les médecins soient impérativement formés, notamment pour éviter la psychologisation et les propositions thérapeutiques comme la rééducation à l’effort qui aggrave l’état des malades qui font des malaises post-effort. Ce sont les raisons principales selon elle de l’abandon de soins par les personnes vivant avec le COVID Long : “Quand un médecin ne nous voit pas revenir, ce n’est pas nécessairement qu’on est guéri mais peut-être tout simplement qu’on a baissé les bras”. Elle mentionne le rôle de la pair-aidance pour les malades en abandon de soins. Elle appelle aussi à dédramatiser le port du masque FFP2 qui est stigmatisé sur les lieux de travail : “Je ne sais pas si vous avez déjà essayé de passer un entretien d’embauche avec un FFP2 mais bonne chance pour être rappelé.” Elle parle également du harcèlement à l’école des enfants qui portent un masque FFP2. Elle demande une campagne d’information sur le sujet. Elle aborde le cas des banques et des assurances en expliquant que la mort sociale passe aussi par la mise à la rue des personnes qui ne peuvent plus rembourser leur prêt et sont exclues de la prise en charge de leur assurance emprunteur prévue en cas de maladie car les experts de ces assurances les discriminent en psychologisant et minimisant le COVID Long.

Elle poursuit avec le volet administratif et judiciaire en insistant sur la nécessité du recensement des personnes vivant avec le COVID Long en France pour espérer avoir accès à des droits sociaux : pension d’invalidité, RQTH, accès facilité à l’AAH et à une ALD exonérante. Elle rappelle qu’un lien avec l’emploi doit être facilité quand c’est possible mais qu’il y a aussi des malades qui ne peuvent plus du tout travailler. Elle rappelle le besoin de mesures et de guidelines pour enfants COVID Long, notamment pour éviter les procédures judiciaires traumatisantes pour eux et leurs familles, et qui les excluent de l’école et de la société. Au niveau des conditions de travail, elle exige des congés maladie sans jours de carence pour tout le monde en rappelant le rôle crucial du repos en cas de réinfection par le virus du COVID pour éviter de développer un COVID Long, tout en cassant les chaînes de contamination. Pour les malades chroniques en capacité de travailler, il faut développer le télétravail et du temps partiel, afin de maintenir un lien avec le travail. Elle cite un chiffre du CIDRAP (Center for Infectious Disease Research and Policy) d’avril 2025 : 1 américain sur 7 en âge de travailler avait souffert de COVID Long fin 2023 et les adultes socialement défavorisés étaient plus de 150% plus susceptibles de présenter des symptômes persistants.

Elle évoque l’inquiétude grandissante aux États-Unis sur les conséquences sanitaires et économiques futures du COVID Long et appelle à ce que l’on se pose ces questions en France. Elle s’indigne de la durée actuelle du temps de travail à temps partiel thérapeutique pour les malades qui en ont la possibilité : “Ça dure 1 an, qu’est-ce qu’elles deviennent après ? En général elles sont licenciées pour inaptitude.” Elle demande également une information côté employeur niveau RH : amélioration de la qualité de l’air intérieur, besoins des personnes vivant avec un COVID Long. Elle cite un chiffre sur la perte de productivité moyenne des COVID Long qui s’élève à 33 heures de travail par mois (CIDRAP, mai 2025). Pour conclure, Morgane s’exprime sur la fin de vie : “Avant de parler de mort digne, on voudrait que vous nous donniez les moyens pour vivre une vie digne.” Des applaudissements silencieux avec les mains se propagent dans la salle.

Nadège Abomangoli remercie Morgane pour son témoignage poignant et ses propositions concrètes. Elle donne la parole à Stéphane Corbel qui partage des phrases d’enquêtes menées par AprèsJ20 : “Le COVID Long ne tue pas le corps mais il tue la vie sociale.” Selon lui il n’y a pas de mort directe du COVID Long même s’il évoque quelques cas de suicide et des témoignages de personnes jeunes qui envisagent de recourir à l’euthanasie. Il décrit le COVID Long comme une mort sociale lente, silencieuse, sans rites ni accompagnements. Il rappelle que le combat est celui d’une société qui ne laisse pas tomber les invisibles. Cela passe par la reconnaissance du COVID Long comme problème majeur de Santé Publique : “La science avance, l’inaction coûte des vies.” Il rappelle que l’impact économique estimé du COVID Long pour la France représente 0,6% de son PIB soit une vingtaine de milliards d’euros en 2024 (Nature Communication, 2024), sans compter les frais médicaux associés. Il évoque une réunion en Allemagne de la semaine dernière où ce coût a été estimé à 60 milliards d’euros : “L’inaction coûtera plus cher que l’audace.”

Il poursuit en rappelant que le COVID Long touche des millions de personnes et qu’avec le COVID Long pédiatrique on sacrifie les jeunes générations : pas de traitements, pas de statut social, pas d’avenir. Il décrit les formes sévères de COVID Long comme une mise à l’écart brutale de la vie sociale, professionnelle, citoyenne et familiale. Il explique que les malades n’ont pas recours aux dispositifs d’aide existants par méconnaissance, par épuisement ou encore par impossibilité physique de faire les démarches : “On atteint un isolement massif des personnes atteintes de formes sévères de COVID Long et en particulier aussi les EM qu’il ne faut pas oublier.”

Il poursuit en parlant de sa propre expérience de COVID Long sur l’incompréhension de ses proches face à la maladie. Il explique qu’au niveau des associations, on constate les fins de droits des malades et se retrouvent au RSA et en dépendance familiale, ce qui aggrave la maladie. Il exprime la complexité des dispositifs d’aide comme l’AAH ou l’ALD pour les malades et demande la mise en place d’un statut provisoire de COVID Long pour avoir une couverture sociale le temps d’obtenir l’AAH et l’ALD. Il demande aussi un soutien des aidants familiaux qui compensent les défaillances du système au prix de leur propre de santé. Il mentionne l’importance de campagnes d’information pour lutter contre la stigmatisation : “Nous sommes tous des êtres humains et avons le droit à une vie digne et aussi confortable que possible, qui ne se mesure pas à son utilité économique et sociale.” Il décrit le COVID comme un révélateur des failles de notre système de santé mais aussi une opportunité de le réinventer. Il termine par le témoignage d’une malade et mère de famille qui devait venir mais n’a pas pu faire le déplacement : “J’en ai marre, c’est dur de tenir. J’espère que vous reviendrez les poches remplies d’espoir et d’aides. Qu’ils entendent que des personnes ont le projet d’aller se faire euthanasier en Belgique et que d’autres restent coincées dans leur corps pendant que leur famille et enfants attendent.” Il appelle à créer urgemment des dispositifs pour ne pas laisser mourir les gens.

 

Alexandre Monnin poursuit l’échange pour dire qu’il est très compliqué d’aborder aujourd’hui les question de l’invisibilisation sociale, du COVID et du COVID Long, questions qui subissent une forme de backlash (ou retour de bâton en français). Il fait notamment le parallèle avec le backlash en cours sur les questions écologiques. Il explique cette situation de backlash notamment par la défiance qui a émergé suite à la gestion par le gouvernement du pic de la pandémie, tout en rappelant que la pandémie n’est pas terminée.

Pour lui, il est crucial de s’appuyer sur les associations pour pouvoir communiquer autour de l’invisibilisation et l’exclusion sociale des personnes vivant avec le COVID Long. Ce sont les associations qui ont la légitimité nécessaire pour donner à voir le vécu des malades, notamment grâce à leur travail continu depuis 5 ans.

Il se réjouit du fait que des journalistes s’intéressent au sujet et rappelle l’importance de la recherche médicale. Il déplore également que la recherche en SHS qui s’intéressent au COVID uniquement comme “expérimentation sociale pour enfermer les personnes.” Selon lui, “Il y aurait bien d’autres discours à développer, bien d’autres enquêtes à mener et analyses à faire”. Il appelle à un effort des SHS qui pourraient justement aider à désinvisibiliser les situations des malades. Il rappelle avec ironie que ceux qui ce sont le plus préoccupés des COVID Long en dehors des collectifs d’autodéfense sanitaire, c’est la presse patronale et capitaliste (The Economist, Financial Times), notamment quant au devenir de la force de travail aux États-Unis. Pour lui c’est un constat d’échec et il faut s’atteler à faire en sorte que ces questions soient appropriées largement au-delà de la classe capitaliste.

 

Interventions du public

Karen Erodi ouvre les débats au public avec un nombre d’interventions limité du fait du retard pris pendant les premières tables rondes : 

  • L’ancienne assistante parlementaire de Michel Zumkeller et avocate de Covid Long Solidarité gérant le recours devant le Conseil d’État concernant la publication des décrets d’application de la loi COVID Long, se dit être sensible au phénomène de double peine observé chez les malades : combat quotidien face à la maladie et en plus invisibilisation des malades “qui n’ont pas la force d’aller se battre, d’aller casser dans les rues, d’aller faire du grabuge pour que les forces de police et les médias les entendent.” Elle a essayé de traduire au mieux la réalité du vécu des malades et l’injustice à laquelle iels font face : “L’État ne peut pas être insensible à ce constat.” Elle remercie le travail des associations qui sont des aidants selon elle et ont donc besoin de répit comme tout aidant. Ce répit passe par la loi COVID Long. Elle rappelle la promesse non tenue d’Olivier Véran de publier les décrets d’application de la loi sous 6 mois, et la mise sous silence du COVID Long par le gouvernement qui ne voulait plus entendre parler du sujet. Elle revient sur la procédure en cours devant le Conseil d’État et rappelle l’importance de cette plateforme de recensement des COVID Long aussi bien pour le suivi épidémiologique que pour la recherche. Pour elle, le Conseil d’Etat condamne la vision nombriliste et le déni du gouvernement sur le COVID Long pour rappeler que l’État a des obligations, notamment la protection sanitaire de la population.

  • Isabelle, représentante de l’association Covid Long Enfant, rebondit sur la question des droits sociaux pour rappeler que l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé (AEEH) dure au maximum 5 ans et que de nombreuses familles d’enfants COVID Long arrivent en fin de droit. Elle rappelle que plein de parents ont dû arrêter de travailler pour s’occuper de leurs enfants et demande à ce que l’accès à Allocation journalière de présence parentale (AJPP) soit facilité. Elle poursuit par la situation des jeunes qui ne peuvent pas poursuivre leurs études supérieures à cause de la maladie et se retrouvent sans aucun droits sociaux et aucune formation. Elle demande à ce que soit pris en compte au niveau législatif.

  • S. Tanguy rappelle que le COVID Long tue socialement mais qu’il tue également physiquement. Elle donne l’exemple de caillots ou d’infarctus provoqués par le virus du COVID et faisant partie du COVID Long. Elle rappelle également que le risque de décès dans la 1ère année du COVID Long est doublé. Elle réaffirme que la sévérité du COVID Long doit se mesurer par le niveau d’invalidité ET par l’espérance de vie. Elle souligne le fait que les complications vitales du COVID Long sont souvent mal gérées et séparées à tort de la maladie qui les provoque. S. Corbel confirme et insiste notamment sur l’incertitude quant à l’espérance de vie des COVID Long du fait de leurs problèmes neurologiques, cardiaques…