DISCOURS DE gwen fauchois, ex vice-présidente d’Act Up Paris, activiste politique des minorités

La défaite de l’expertise, à rebours du progrès en santé : le COVID, une défaite de la lutte SIDA? Le retour à une exclusion des citoyens et des populations concernées, minoritaires, vulnérables et/ou ostracisées de l’expertise et l’élaboration des politiques de lutte.

(traduction en anglais : Winslow.fr/discours-gwen-EN)

gwen fauchois, souriant, assise sur un muret

 Jeudi 26 septembre

(Sous réserve du prononcé)

« Je vais commencer par revenir quelques instants sur le

               – Pourquoi suis-je là ?

Afin de situer ma parole.

-D’abord en raison d’une expérience passée de lutte contre une épidémie, d’activiste contre le sida et de vice-présidente d’Act Up-Paris dans les années de cendres précédant l’arrivée des trithérapies,

-Pour incarner un savoir et une expérience qui ne sont pas institutionnels mais ceux de directement impactée, pour incarner et transmettre la mémoire militante, celle qui a manqué et manque toujours. Raison aussi pour lesquelles je me bats pour la création d’un centre d’archives LGBTQI++ et sida à Paris, ville qui fut particulièrement meurtrie au cœur de la phase aiguë de l’épidémie de sida au point d’être surnommée capitale européenne du sida et alors que l’Île-de France continue de concentrer plus de 40 % de l’ensemble des personnes non diagnostiquées.

-Parce qu’il est question d’agir au présent.

Et que je demeure aujourd’hui investie dans les luttes santé ainsi que droit des minorités. Or nous sommes extrêmement peu, notamment pour des raisons structurelles y compris de spécificités des luttes minoritaires, de renouvellement des générations, de classe d’âge et d’absence d’outils de transmission, à être fort de ces deux expériences passé et présente.

-Parce que j’ai été amenée à faire partie des lanceurs d’alerte pré-confinement qui n’ont pas attendu les pouvoirs publics pour inviter à agir et s’auto-organiser

-Parce qu’ensuite j’ai fait partie des initiateurs d’actions et réflexion pendant le confinement, articulant analyses et concret.

-Enfin je fais partie du réseau informel qui nous réunit aujourd’hui à l’initiative de Winslow Santé Publique et qui promeut toujours l’autodéfense sanitaire, la réduction des risques, le droit à la santé et s’organise principalement autour de personnes vulnérables, handicapées, souffrant de covid long et solidaires.

C’est de cette situation au croisement de différentes luttes que se nourrissent les points de vue que je peux faire valoir, liant savoir expérentiel et politique.

– Pourquoi mettre l’accent sur la lutte contre le sida ?

Alors qu’à priori COVID et SIDA sont très différents et qu’en outre je ne suis pas fan des comparaisons entre les deux épidémies. Notamment parce que les comparaisons qui circulent sont souvent simplistes, parfois mêmes contre productives tant les imaginaires qui accompagnent leur appréhension sont éloignés. Et peuvent parfois conduire à effacer les spécificités de l’une et l’autre, voir à nourrir, contre l’effet recherché, le relativisme et le déni.

D’abord parce que malgré ces réserves, qui a connu des épidémies sait que leur gestion nous confronte hélas à des invariants. C’est ainsi qu’avant même le confinement, j’avais pu écrire que la lutte contre le sida nous conférait l’expérience que l’épidémie de coronavirus serait aussi sociale. L’expérience que l’Etat réagirait avec retard, minimiserait. Se réfugierait derrière l’excellence française et protègerait avant tout l’appareil économique.
Nous savions déjà, que les mesures sociales seraient les dernières décidées et que paieraient le prix fort de l’épidémie, ceux qui sont déjà les plus vulnérables.
Les plus vieux, les immuno-déprimés, les atteints de co-pathologies, les femmes, les pauvres et précaires, les migrants et SDF abandonnés sur les trottoirs, celles et ceux qui n’ont déjà pas accès aux soins, et toutes celles et ceux qu’on estime négligeables.

Tous ces plus vulnérables, ce sont nous et nos proches. Et nous le savions d’ors et déjà, l’Etat n’en prend pas soin. C’est nous qui le faisons (1).
C’est pourquoi déjà je préconisais de nous inspirer de nos expériences. Des savoirs et solidarités populaires. Des savoirs de ceux qui savent d’abord devoir compter sur eux mêmes (1).

D’autre part on ne peut faire abstraction du fait que le covid est intervenu dans un contexte où les rapports entre usagers, associations de santé et pouvoir médical comme politiques sont largement régies par des relations héritées des apports de la lutte contre le sida. Un modèle français quasiment labellisée « démocratie sanitaire ». Forme empruntant avec plus ou moins de réussite à des revendications de gestion participative ou de co-gestion.
On ne peut ignorer non plus que nombre de médecins qui se sont mobilisés les premiers mais aussi ceux qui ont défilé sur les plateaux médiatiques, propulsés experts épidémiques, étaient eux aussi, pour un certain nombre d’entre elleux, issus de la lutte contre le sida. Dont ils avaient été, jeunes médecins des années 90, artisans, avant de gravir les échelons de la hiérarchie médicale.

Enfin quand le gouvernement a voulu se couvrir d’exercer un pouvoir unilatéral et vertical, ce sont deux sommités de cette lutte qu’il a choisi de mettre en vitrine :
Françoise Barré-Sinoussi que l’Elysée nomme à la tête du Comité Analyse Recherche et Expertise et Jean-François Delfraissy à celle du Conseil scientifique COVID-19.
Pourtant c’est à rebours de l’héritage de la lutte contre le sida, qui a démontré que la participation à l’élaboration des politiques de lutte des citoyens et des populations concernées, minoritaires, vulnérables et/ou ostracisées est une condition de leur portée, que la politique contre le covid a été et est organisée.

Très vite cette implication de la lutte contre le sida a tourné au trompe-l’oeil.

Les militants contemporains comme du passé ont eu beau se rassembler pour demander à ces commissions d’experts d’exiger une réelle participation de la société aux décisions et de ne pas trahir notre histoire commune au nom de laquelle il et elle avaient été nommés, nos appels, courriers, tribunes et les vagues relais de la part du conseil d’experts furent peine perdue.
Mais peut-être est-ce pour cela qu’ils l’avaient été, nommés, pour dénaturer nos acquis sous le masque de notre légitimité.

Il faut en tirer expérience.

Parmi les éléments de déni (multiples) nous avons collectivement tendance à nous gargariser de nos savoir-faire et à contrario à sous-estimer et invisibiliser les signaux d’alerte. L’état de l’hôpital public et des politiques de santé publiques en ont été les exemples criants.

Nous dévivifions les savoirs en les éloignant de leur terreau garant de leur réactualisation permanente, les figeant quand ils passent dans le tamis des institutions, les renvoyant d’acteur à objet d’étude.
Et ce quelle que soit la bonne volonté des acteurs y compris concernés.
On les éloigne du discours d’expérience vers l’expertise, qui se transforme chaque fois en parler pour, en parler à la place de.

Ça n’a pas été sans conséquences dans la crise covid, cette mise en avant d’acteurs de la lutte contre le sida et de la démocratie sanitaire vidée de son sens alors que la politique appliquée était exactement inverse.

Paratonnerres, tandis que les soignants de terrain étaient débordés,

paratonnerres des gestions de pénuries organisées de lits, de soignants, de masques, de médicaments, de matériels et de démocratie.

Cautions des mesures surplombantes, accentuant les inégalités sociales, les inégalités de vulnérabilité, de mise en œuvre, et d’exposition au virus.

En même temps qu’étaient créées les conditions d’empêchement d’adhésion et de profonde défiance vis à vis d’émetteurs renvoyés à une identification aux pouvoirs institutionnels.

Cette rupture avec l’incarnation concrète loin de créer les conditions de réflexion et d’actions sur ce que la crise nous obligeait, non seulement en temps présent mais aussi pour l’avenir, a au contraire favorisé une régression.

On a glosé un temps sur le monde d’après en s’empressant de construire une demande d’en revenir le plus vite possible au monde d’avant. Et même en arrière.

Tandis que la critique était abandonnée majoritairement aux complotistes, antivax et partisans de l’infection de masse. La gauche gestionnaire ne se réveillant que pour pointer les dimensions de démantèlement de l’hôpital ou de production, la gauche associative sur l’autoritarisme, aucune des deux sur l’articulation nécessaire de toutes ces dimensions avec la nécessité de prévention et de prise en charge de soins.

Et s’il faut souligner toutes les actions au plus près du quotidien qui ont rendu possible le confinement par auto-organisations micro-sociales (distributions solidaires, garde d’enfants mutualisées, cagnottes, recherche de logements, fabrication artisanale de masques, investissement des profs y compris sur leurs deniers personnels, et même initiatives de collectivités territoriales) de façon plus globale et sur la durée, malheureusement c’est à un fiasco partagé par l’opposition politique (à quelques initiatives individuelles près) qu’on peut même étendre à la gauche dans son ensemble (associative, culturelle, médiatique) qu’on a assisté et d’autant plus marqué dès lors que la phase d’urgence a semblé s’éloigner.
On notera aussi que fort peu de ces initiatives ont débouché sur des dispositifs pérennes.

Et on a vu se reproduire quelque chose d’assez semblable avec le Monkey Pox. Une bonne mobilisation des concernés dans l’urgence contre l’inaction des pouvoirs publics mais qui s’étiole dès que l’urgence semble s’effacer.

Les activistes et malades du sida avaient démontré que dès lors qu’on les écoutait et que leur capacités d’action étaient favorisées, la lutte s’en améliorait.
C’est le contraire avec des discours politiques verticaux et autoritaires qui prétendent et érigent l’incapacité à comprendre, agir et se prendre en charge.
J’ai pour ma part, encore en tête, un exemple emblématique dans la lutte contre le sida : celui de la mise à disposition des seringues, dont on on nous disait en sus d’opposition dogmatiques et morales qu’elle serait vaine, et qui dès lors qu’elle a été effective a immédiatement permis une chute spectaculaire des contaminations d’usagers de drogue.

Il ne s’agit pas seulement de se souvenir, de commémorer, d’analyser (tout cela est nécessaire car l’absence de mémoire n’est pas seulement liée à des processus traumatiques et de travail de deuil qui demande du temps, elle est aussi culturellement et politiquement organisée), il s’agit aussi de se donner les capacités d’agir de façon vivante et située. En prenant en compte les expériences passées, les ressources populaires mais aussi les spécificités non seulement de chaque épidémie mais aussi de leurs différentes temporalités.

Et sans faire abstraction des conditions matérielles et spécifiques (ce qui devrait être une base d’analyse de gauche) dans lesquelles les gens vivent et de développement des épidémies, c’est à dire tout sauf indifférenciées et universelles.

Les phases d’urgence et épidémique aiguës et les phases endémiques ont chacune leurs caractéristiques. Elles ont en commun que la lutte ne peut trouver son efficacité sans moyens, investissements appropriés, pas plus que sans appropriation.
L’endémie, évidemment je ne vous apprend rien ne signifie pas la fin. Et le déni n’est pas une politique de santé.

Enterrer l’épidémie, c’est d’abord enterrer des personnes. A petit feu par covid long, par deuil de toute vie sociale et de sa santé, mais aussi très littéralement 20 personnes tous les jours. Dans l’indifférence quasi générale.

Les combattants du sida avaient obtenu de convaincre que leurs morts étaient inacceptables. Aujourd’hui la gestion gouvernementale du covid a produit l’inverse, une acceptabilité accrue de morts pourtant évitables et des inégalités socialement produites. Et l’exclusion des concernées de la prise de décisions. Qui s’étendent au-delà du covid.

Faut-il s’étonner qu’il soit si facile de s’en prendre désormais à l’AME (Aide médicale d’État) ou au droit au soin quand la santé est vendue comme affaire individuelle ?

Aurait-il été possible de prétendre pouvoir conduire une réforme des retraites telle que celle du gouvernement si la gestion de la crise du covid avait été réellement collective, participative et solidaire ?

Serait-il possible d’attaquer les arrêts de travail ? d’attaquer l’ALD (dispositif Affection Longue Durée) ? De mener une loi sur la fin de vie sans même écouter les inquiétudes légitimes de celleux dont le droit aux soins est bafoué ?

Quelles conclusions et pistes pour nos luttes ?

En dépit des investissements et bonnes volontés, non seulement la lutte contre le sida n’a pas réussi à peser dans la prise en charge du covid mais elle a été instrumentalisée au profit de régressions.
Qu’en est-il aujourd’hui ?
Des militants de l’autodéfense, des soignants, des chercheurs – Act Up-Paris désormais demeurent engagés mais leur influence est plus que marginale. Le contexte est loin d’être favorable.
La lutte contre le covid ne bénéficie pas de ce qui reste de la démocratie sanitaire, ni de soutien de la gauche. Les méthodes activistes à la fois se sont démultipliées et ont perdu de leur efficacité, en plus d’être mal adaptées aux caractéristiques de la transmissibilité du covid et des plus vulnérables. Même si pas impossibles.
Pourtant c’est bien à la source de la lutte contre le sida, qu’il faudrait revenir, je crois. Sans doute dans un premier temps avec des objectifs modestes mais priorisés.

– En premier lieu, obtenir l’obligation du port du masque dans les lieux de soins et le traitement de l’air qu’on y respire.
Les transports, les écoles, les lieux d’enfermement et de ségrégation seraient les cibles
suivantes.

– Obtenir des protocoles de recherche pour des traitements, préventifs et curatifs. En exigeant la participation des patients et associations de patients à tous les stades : élaboration, suivi, modification en fonction des effets secondaires, partage des résultats.
Et pas seulement comme consultés mais comme acteurs à part entière.
A contrario, en exigeant l’exclusion des faux-nez de labos ou des entreprises de conseils privés, style Mc Kinsey sollicité (et s’enrichissant) sur la stratégie vaccinale.

Revenir à la source, disais-je, c’est se souvenir que la démocratie sanitaire est née et n’a fonctionné que dans un rapport de force avec les institutions et les politiques. Elle s’est imposée par le conflit et en assumant cette dimension conflictuelle.

  • La base, c’est que ni les institutions de pouvoir, ni les oppositions ne répondront à nos exigences sans y être obligés.
  • La base, c’est que sans auto-organisation populaire des concernés, nous confions à l’état la définition des politiques de soin. Et que celui-ci développe un capitalisme sanitaire quand nous voulons une politique de production de soin.
  • La base, c’est que sans conflictualisation assumée, la co-gestion se résume à un accompagnement des choix de la financiarisation de la santé et à jouer les prestataires de services ou les sous-traitants – gratuits- non décisionnaires.

Avec le développement de l’économie sociale et solidaire, nous assistons même au remplacement de cette co-gestion de vitrine par des filières à but lucratif qui n’ont plus de sociale et solidaire que le nom et une organisation du monde associatif régie par le contrôle d’Etat, une normalisation imposée des pratiques, un développement de diplômes et certifications obligatoires, les subventions, et la concurrence.

Nous avons donc à mener en parallèle

– la poursuite de notre autoformation et la transmission de celle-ci, c’est à la fois la condition pour maîtriser les enjeux, poser clairement nos besoins et exigences et une question de crédibilité.
Pour autant, personne ne sera expert dans tous les domaines, il s’agit dès lors aussi de nous structurer pour articuler formation et expertise, afin d’être capable d’opposer l’interlocuteur idoine au bon moment et dans les bons lieux.

– travailler à renverser l’opinion publique et en particulier, à former des ponts dans les corps intermédiaires, les associations de patients, les personnels hospitaliers, les parents d’élèves, les syndicats, les autres luttes, toutes celles qui n’ont rien à gagner et tout à perdre avec des politiques qui légitiment et renforcent les hiérarchies entre les vies.
Avec un double enjeu, la prise en compte du covid est une nécessité en soi et une condition matérielle de notre participation possible.
Et sur notre route, nous allons trouver en plus de l’inertie, du déni et du validisme qui nourrissent le récit majoritaire, évidemment les libéraux mais aussi les complotistes, et désormais l’alliance entre autoritarisme libertarien et les réactionnaires. Et devoir affronter la montée du nouveau fascisme : des fachos qui sont organisés et se structurent chaque jour davantage en se disséminant et s’enracinant dans les corps intermédiaires, les médias et les instances de décision. Le RN étant l’arbre qui cache la forêt.

– travailler notre communication et notamment les visuels
Il y a à distinguer
             -une communication simple et bienveillante en direction de la population générale qui pourrait se décliner notamment sur les réseaux sociaux sur des axes développant que nous sommes les vrais experts et que nous sommes ceux qui prenons soin de nous/vous.
Développant de la pédagogie sur les effets réels et différés du covid et les moyens de s’en protéger collectivement. Rappelant qu’adopter le déni, c’est faire ce veut le gouvernement. Et bien-sûr en poursuivant et amplifiant l’autodéfense par l’exemple.
                  -et une communication plus agressive, exigeante et critique envers les institutions.

– travailler à structurer un réseau, tenant compte de nos spécificités militantes, d’état de santé et matérielles – les échanges de ces deux jours sont un bon début – de façon à coordonner les actions, à mutualiser nos force et nos savoirs et à augmenter leur viralité et leur capacité à peser. Y compris avec des liens à l’international quand c’est possible. Là encore nous pouvons nous inspirer des autres luttes. Je pense par exemple aux tweets storms organisées par le BDS, forme moderne des zaps tél et fax d’Act Up-Paris.

– travailler à développer une réflexion et une analyse sur l’économie et les politiques de santé.
Ce qui se présente devant nous, augure qu’il ne s’agira pas seulement de résister ni de s’en tenir au seul covid.

Nous allons affronter une stratégie de démantèlement et de privatisation sans précédents de notre modèle social. Le passage de la gestion du budget de la sécurité sociale dans le giron de l’état n’ayant été qu’un avant-goût du pilotage par la financiarisation et la contrainte budgétaire.
L’instrumentalisation des arrêts maladies et les attaques des ALD n’en sont que les prémices.

Comme je suis une pessimiste optimiste, j’aimerais penser que la brutalité de ce qui nous attend est peut-être paradoxalement notre alliée. À condition d’être capable de lier les enjeux covid à ceux de la guerre sociale en cours. »

(1) : Le texte de 2020 est disponible ici : http://gwenfauchois.blogspot.com/2020/03/

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