LA MÉDECINE SANS ÉTIOLOGIE : UNE CONSTRUCTION D’IGNORANCE QUI EMPÊCHE L’ACTION

Pourquoi l’étiologie compte? Retour sur cette notion importante, dans le cadre du COVID.

Une maladie peut avoir une définition étiologique et/ou une définition dite syndromique (ou encore clinique). 

  • ÉTIOLOGIQUE : Dans ce premier cas, la maladie est désignée par sa cause nécessaire ; elle ne suffit pas toujours à ce que la maladie se déclenche, mais elle ne peut pas se déclencher sans cette cause. Par exemple, la maladie de COVID ne peut pas se déclencher sans l’introduction du virus de SARS-CoV-2 dans l’organisme : il en est sa cause nécessaire. 
  • SYNDROMIQUE : Dans le cas d’une présentation syndromique, la maladie n’est identifiée que par un ensemble homogène de manifestations cliniques, c’est-à-dire visibles pour le clinicien, et dont on imagine qu’il est imputable à une cause, qu’on ne connaît pas encore. 

Cette distinction est importante. Elle l’est en amont pour la prévention, et en aval pour le diagnostic et la prise en charge du patient. En effet, pour prévenir la maladie, sinon connaître exactement l’agent pathogène, il faut au moins avoir une idée de la nature de son étiologie : les protocoles mis en œuvre seront drastiquement différents selon qu’il s’agit d’une étiologie génétique, environnementale ou microbiologique. 

scientifique masquée, portant une charlotte, qui regarde des organismes biologiques à la lumière à travers le verre. Premier plan : des fioles

En témoigne la lutte du Norvégien Armauer Hansen pour la reconnaissance de la contagiosité du bacille de la lèpre, qu’il peinait à identifier à cause de l’impossibilité de le mettre en culture. Tout l’enjeu portait en effet sur les moyens d’enrayer la diffusion de la lèpre : ses adversaires eugénistes portaient l’étiologie génétique de la lèpre, le protocole consistant alors à écarter des généalogies entières de la société. Dans le cas du COVID, son étiologie microbiologique et ses caractéristiques de transmission particulières sont parfaitement établies :  il s’agit d’un virus, à transmission aéroportée. Sa prévention non médicamenteuse ne peut donc passer par autre chose que le renouvellement et la filtration de l’air partagé (purification, masques). De fait, ce raisonnement est indispensable à la mise en œuvre d’un protocole de santé publique adéquat. Il l’est également en médecine, pour traiter la maladie, parce qu’il faut pouvoir l’identifier, en faire un diagnostic. 

Les manifestations cliniques d’une infection (ou syndrome infectieux) sont, elles, le fruit de l’interaction de notre système immunitaire avec l’agent infectieux : elles dépendent donc de la constitution particulière de l’hôte, et peuvent présenter des tableaux similaires pour des agents pathogènes différents. L’exemple du « syndrome grippal » est parlant : il est caractérisé par un tableau clinique unique (fièvre, frissons, symptômes respiratoires, malaise) mais peut être causé par le virus de la grippe comme le virus de l’hépatite A, en passant par les entérovirus et les coronavirus. Il peut même ne pas se manifester alors qu’il y a infection [par exemple, la part d’asymptomatiques chez les personnes touchées par le COVID serait de 59%, selon certaines études]. On comprend alors que le traitement ne sera pas le même selon l’étiologie microbiologique, qui est indispensable au diagnostic. En effet, entre une grippe, un mycoplasme, une coqueluche, au départ, les symptômes peuvent se recouper : pourtant, une partie d’entre eux nécessitent des antibiotiques, l’autre non. La bonne gestion des médicaments, dans un contexte de pénuries régulières et d’augmentation de la résistance aux antibiotiques, dépend donc de la réalisation d’un test. Le syndrome est un signe, un indice parmi d’autres pouvant guider le diagnostic, mais il ne suffit pas. Diagnostiquer correctement et identifier la cause d’une infection demande des analyses microbiologiques. 

En prenant la décision de ne plus conseiller le dépistage du SARS-CoV-2 en pleine pandémie, et de regrouper tous les « virus respiratoires » sous le même syndrome, les autorités sanitaires actent l’effacement politique de la maladie de COVID et ainsi, l’impossibilité de la prévenir comme de la traiter (les traitements préventifs doivent être pris au plus près de l’infection). C’est également un problème dans le suivi épidémiologique : en effet, Santé Publique France mélange, pour la grippe, des données syndromiques et étiologiques dans ses bulletins. Par contre, le COVID reste comptabilisé par l’étiologie et donc uniquement sur la base de tests SARS-CoV-2 positifs. Ainsi la grippe devient une case dans laquelle on se retrouve par défaut quand on ne réalise pas de test de dépistage, ce qui surestime son ampleur dans certains rapports, et sous-estime le suivi COVID (voir ce thread)

C’est également un souci pour les formes longues du COVID, ou ses effets différés : sans avoir de diagnostic de l’infection de départ, comment diagnostiquer la maladie chronique et permettre aux médecins de mettre en place les parcours adaptés? Comment relier les effets différés du COVID au virus qui les cause?

Ainsi, les autorités privent les personnels soignants et la population des moyens de comprendre ce qui leur arrive individuellement et collectivement. Mettre dans le même sac tous les « virus de l’hiver », voire même les « microbes » – qui désignent pêle mêle tous les êtres vivants microbiologiques, sains comme pathogènes – entraîne une confusion générale qui a pour conséquence de décourager quiconque d’une démarche scientifique permettant de déterminer la cause d’une pathologie. Et sans comprendre, la population ne peut agir. Si l’on ne sait pas que SARS-CoV-2 se transmet par l’air non-renouvelé, on ne peut pas considérer le port du masque ffp2. Si l’on ne sait pas que l’on a contracté une infection au SARS-CoV-2, on ne peut pas demander de traitement ou de soins d’urgence, ni faire reconnaître un COVID Long consécutif. Si l’on a aucun outil fiable de surveillance de la circulation de SARS-CoV-2, on ne peut pas l’enrayer et protéger la population du lot de séquelles chroniques qu’il déclenche. Si les autorités nous empêchent de savoir, elles nous empêchent aussi d’agir. Le déni et l’ignorance désarment les populations, et les poussent à l’apathie et au fatalisme. Le laisser-faire viral est ainsi de mise : « Tout le monde est malade, c’est comme ça, on n’y peut rien », entend-on. Pourtant l’acceptation de plus de morts, de maladies, de handicaps n’est pas obligatoire. Des moyens existent, et pourraient être rendus accessibles à toustes, couplés à une bonne information.

 

Dernière modification le 18/11/2024