Précision : pour la facilité de lecture, j’ai partitionné la population en l’habituelle dichotomie fragiles / non fragiles, alors que cette distinction n’a que peu de sens, les fragiles de demain pouvant tout à fait être les valides d’aujourd’hui, d’autant plus que la circulation du virus est sans frein. En réalité il faudrait lire “vulnérable qui s’ignore”/”vulnérable qui se connaît ». J’ai laissé volontairement de côté cet élément car les gens ne veulent pas l’entendre, ni le croire, j’ai donc temporairement abandonné.

Récemment, à l’occasion de la fin du port du masque obligatoire dans les hôpitaux, je me suis amusée à compter le nombre de fois où je voyais une remarque du type “on s’est sacrifiés pendant deux ans pour les fragiles, on peut bien revivre maintenant” sur les réseaux sociaux. J’ai vite arrêté, c’était récurrent, cela m’agaçait bien trop.

J’aimerais remettre les points sur les i à ce sujet : nous, fragiles, malades chroniques, personnes à risque, on sait que vous mentez. On vous a entendus parler à l’époque où vous n’aviez pas encore honte de vos précautions, on vous a vus agir lors de l’arrivée du virus. On vous a vu désinfecter vos courses sur votre palier au moment où on ne savait pas encore qui exactement le virus pouvait tuer, handicaper. Vous vous êtes vous aussi, savonnés consciencieusement au savon de Marseille au retour de chaque sortie. Vous aviez peur pour vous, pour votre famille. C’est pourquoi vous avez accepté les confinements, les décrets parfois absurdes (nous aussi, on s’est plaint de ne pas pouvoir se promener sur les plages où on ne risquait quasiment rien. Sauf que pour certains d’entre nous, se déplacer peut déjà être un défi). Globalement, les gens avaient peur pour eux-mêmes et leur bulle, pas pour les fragiles (et c’est assez normal d’ailleurs : pas de honte à avoir). En tous cas, la plupart. Certains, en effet, étaient réellement inquiets et concernés par le sort des plus vulnérables, mais j’ai tendance à penser que ceux-ci continuent à mettre leur masque en salle d’attente, et ne sont pas ceux qui se plaignent des mesures contraignantes. Les autres, ceux qui crient au sacrifice, qu’ont-ils fait réellement ? La pandémie a fabriqué des héros de papier, pour qui applaudir à 20h de sa fenêtre est un acte de courage incroyable : de véritables Jean Moulin. Et à côté de cela, les vrais courageux, dans les hôpitaux, ainsi que les autres « essentiels », sont passés direct aux oubliettes.

Et par contre, au moment où vous avez reçu comme info “ah mais c’est bon, pour vous c’est pas grave dans la grande majorité des cas”, ah bah là ça a changé. D’un coup, OSEF. On veut plus du masque, on veut plus en parler, et là, bim, que se passe-t-il ? On reproche les anciennes mesures restrictives (confinement, masques) aux plus fragiles. On refait l’histoire, et on fait comme si c’était simplement pour eux, personnes vulnérables, que les individus les avaient tolérées et appliquées. Et on commence à rouler des mécaniques, “moi j’suis fort, moi j’ai pas peur”. J’ai rarement vu pire hypocrisie dans ma vie.

A ces personnes, nous avons envie de dire “Stop à l’indécence”. Car elles n’ont pas vécu le quart du tiers de ce que vivent les personnes à risque depuis 2 ans et demi (et c’est tant mieux). Et je dis 2 ans et demi, mais souvent, c’est bien plus. Car cette fragilité vient d’une maladie, qu’on subit éventuellement depuis des années. Avec parfois une épée de Damoclès constante sur la tête, des traitements à gérer, des douleurs et des difficultés à se déplacer, certains ont eu à vivre des périodes “emprisonnés dans leur corps malade”, ont subi la rééducation : les personnes fragiles sont déjà des héros malgré eux, à ne pas s’être écroulés face à ces pressions physiques et psychologiques. En plus de tout cela, depuis 2 ans et demi, s’ils veulent éviter un risque supplémentaire, ils sont obligés parfois de s’isoler à l’extrême. Et sont critiqués et malmenés depuis peu, sommés de ne pas avoir peur, alors même que, bien avant la pandémie, ils géraient leurs angoisses vis-à-vis de leur pathologie.

Et qu’on ne me sorte pas face à cela, l’exemple du “fragile qui vit comme avant”, mis en avant comme exemple à suivre. C’est ça le courage? Nier le danger, céder à la pression sociale au détriment de sa santé ? C’est surtout bien pratique pour les autres, qui peuvent le citer en contre-exemple. Et depuis des mois, on supporte cette hypocrisie consistant à nous cracher à la figure et parler de nous de façon blessante, alors que dans le même temps, on s’extasie sur les personnes handicapées qui donneraient des leçons de vie en se baladant sans masque dans la rue pour aller chercher le pain en bas de chez eux…

Aujourd’hui on arrive au comble : on a décidé de leur compliquer encore plus la tâche. Avec la fin du masque obligatoire, on rend encore plus risqués les déplacements en transports en commun, on dénie l’accès sécurisé aux soins dont ils ont besoin. Sans même parler de la complexité de l’école pour leurs enfants, s’ils en ont : cet élément là est totalement ingérable depuis longtemps. Quelle est la finalité d’une telle exclusion ? Se rend-on compte de la charge qu’on ajoute aux épaules de ces gens ?

On se demande surtout quelle est la finalité de tout cela, notamment pour les simples mesures de port de masque en lieux clos essentiels. Pourquoi aller jusque là ? Quel raisonnement peut pousser les gens à accabler de la sorte des personnes qui ont déjà des poids trop lourds sur leurs épaules ? Est-ce que le fait de porter un masque dans les transports, dans les hôpitaux, de tester ses enfants en cas de doute (et de leur mettre un masque à l’école lorsque l’épidémie flambe), est tellement difficile qu’ils méritent ce fardeau supplémentaire? J’y vois deux possibilités :

  • soit les personnes valides sont, en fait, les plus fragiles : mettre un masque 10 minutes les tue. Elles en ont tellement marre qu’elles vont se jeter par la fenêtre, de faire ce que pourtant d’autres arrivent eux à faire sans problème, dans d’autres pays, sur d’autres continents. Possible, ok. Mais qu’ils arrêtent de rouler des mécaniques, alors.

(D’ailleurs, un test antigénique ou PCR avant de voir un proche fragile les tue tout autant, a priori. Les personnes ayant une maladie chronique en ont déjà fait l’amer constat : aux yeux d’une bonne partie de leurs amis, de leurs proches, ils ne valent pas la peine de s’imposer un test, à eux ou à leur môme enrhumé sortant pourtant d’un des clusters géants qu’est l’école. Les personnes capables de le faire pour pouvoir passer un moment avec leurs proches à risque se comptent sur les petits doigts d’une main)

  • La 2ème supposition est bien plus effrayante. Peut-être que le but inavoué est de faire “disparaître”, au moins de leur conscience, ces personnes dites “fragiles”. En effet, s’ils pouvaient ne plus faire partie du paysage, ce serait pratique, vous ne pensez pas ? On se sentirait moins coupable, on n’aurait plus aucune frustration. Cela correspondrait bien à ce qu’on voit (ou plutôt ce que l’on ne voit pas) dans les médias : les fragiles sont invisibles. Ils n’ont pas la parole. Les morts aussi sont devenus invisibles, plus de décompte, on a même bien évité comme il faut de commémorer les 150000 morts cet hiver (oui je sais, c’est une décision gouvernementale, mais les journaux auraient pu ne pas suivre, et avoir, eux, la décence de faire un hommage à ces personnes qui sont parties dans des conditions épouvantables).

Je préfère ne pas trop penser à l’éventuelle réalité de cette seconde supposition.

Signé : un membre de notre collectif

3 août 2022 15:02