Comment le déni de la transmission aérienne du COVID
a brisé le monde
Publication originale : « How denial of airborne COVID transmission broke the world », par Blake Murdoch pour healthy debate, le 10 mars 2025: Lien.
Un grand merci à Blake Murdoch, bioéthicien, avocat, vulgarisateur scientifique et expert en politiques de santé publique, qui nous a donné l’autorisation de traduire et publier son texte. Il rappelle à quel point la transmission aéroportée est structurante dans la gestion du Covid-19, et montre aussi comment il est encore possible d’enrayer la propagation du virus, en prenant les mesures adéquates.
Alors que nous avons atteint le cinquième anniversaire de l’émergence du Sars-Cov-2, l’erreur la plus grave de la réponse mondiale à la pandémie est devenue très claire.
Ce ne sont pas les « confinements », comme le suggèrent beaucoup de gens de droite. Il ne s’agit pas non plus des mesures de soutien gouvernementales et des politiques des banques centrales qui alimentent l’inflation, que beaucoup ont qualifié de très excessives. Ce n’est même pas l’échec à tenir compte de la désinformation en ligne, comme l’ont dit des personnes de gauche et du centre. C’est bien plus simple et essentiel que ça.
En effet, ces inquiétudes ont été partiellement alimentées par une unique et énorme imprécision scientifique, entendue pour la première fois lors de la conférence de presse sur le Coronavirus de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), lorsque le directeur général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus a dit :
« Désolé, j’ai utilisé le terme militaire, aéroporté. Cela signifiait se propager via des gouttelettes ou par transmission respiratoire. Veuillez le prendre ainsi ; pas dans le sens militaire. Merci »
(NdT : en anglais, airborne, qui veut dire aéroporté, fait aussi référence aux équipements militaires aériens)
L’incapacité à présumer raisonnablement, puis à accepter ultérieurement, la propagation aérienne du Covid et à mettre en œuvre les mesures structurelles d’atténuation appropriées est à l’origine de toutes les lacunes majeures de notre réponse à la pandémie, ainsi que de tous les dommages physiques, mentaux, économiques et sociaux majeurs qu’elle a engendrés. Cela a condamné nos réponses sanitaires, sociales et économiques, en garantissant qu’elles ne seraient pas pleinement efficaces, adéquatement ciblées et peu perturbatrices, ce qui a finalement conduit aux nombreuses divisions que nous observons aujourd’hui dans la société.
Laissez-moi vous expliquer. Imaginons un monde où les experts et les preuves clés ne seraient pas ignorées, et où la prévalence de la transmission aéroportée du SARS-CoV-2 aurait été rapidement acceptée et prise en compte.
Avant d’en arriver là, il est important de comprendre que l’accent mis sur la « transmission par gouttelettes » a toujours été une représentation inexacte et dogmatique de la physique du SARS-CoV-2, qui se propage principalement sous forme de petits aérosols que les gens libèrent lors de comportements simples comme respirer et parler, et qui restent en suspension dans l’air comme de la fumée. Le SARS1 était également connu pour sa transmission aérienne. Nombre des plus grands scientifiques mondiaux spécialisés dans les bioaérosols ont rapidement reconnu les preuves évidentes de la transmission aérienne du Covid, mais ont été écartés et exclus de l’élaboration des politiques par les autorités à tous les niveaux. En octobre 2022, Jeremy Farrar – qui est devenu quelques mois plus tard scientifique en chef de l’OMS – a déclaré que c’était « une très grave erreur » de ne pas prendre au sérieux la transmission par aérosols, et que les mesures d’atténuation par voie aérienne « auraient sauvé un nombre énorme de vies ».
Figure 1 : -Rapport final de la Commission sur le SRAS1, Ontario, Canada, 2006
Un deuxième fait important est que les masques N95 sont spécifiquement conçus pour protéger des aérosols. En comparaison, les masques chirurgicaux présentent de larges ouvertures d’aération et ne sont pas conçus pour protéger des aérosols. Les masques N95 ou FFP2 sont si efficaces que des recherches britanniques ont indiqué que leur utilisation par le public aurait réduit le taux de transmission du COVID-19 d’un facteur estimé à 9, contre 0,6 pour les masques chirurgicaux. Un facteur 9 suffit à entraîner une décroissance exponentielle du SARS-COV-2, ce qui signifie que le virus aurait été fortement supprimé tant que le port du masque se poursuivrait. Le calcul exponentiel de la propagation virale signifie également qu’un respect absolu du port du masque n’aurait pas été nécessaire pour obtenir la suppression.
Considérons une chronologie dans laquelle ces faits auraient été mis en pratique.
Confinements
Avec des mesures de réduction des risques aériens, bon nombre des plaintes habituelles concernant les « confinements » n’auraient jamais été formulées. La plupart des fermetures auraient été nécessaires pendant une période plus brève, jusqu’à ce que la production de masques reprenne et que ces derniers soient distribués au public pour une utilisation dans les espaces partagés.
Simultanément, une fraction des milliers de milliards économisés grâce à la réduction de la durée des fermetures économiques aurait été consacrée à l’installation de systèmes de ventilation, de filtration et d’éclairage germicide considérablement améliorés (pouvant générer des dizaines d’équivalents de renouvellement d’air par heure) dans tous les espaces publics intérieurs, à commencer par les écoles, les hôpitaux et autres lieux de rassemblement. La publication de données sur l’air intérieur, comme les niveaux de CO2, aurait été obligatoire, ainsi que le déploiement d’inspecteurs de la qualité de l’air, comparables à ceux utilisés pour contrôler les cuisines commerciales. Ces mesures structurelles réduisent considérablement la dépendance de la santé publique au respect des règles de comportement individuel, comme le port du masque.
Les fermetures d’écoles auraient été uniformément de courte durée, perturbant au minimum l’apprentissage des enfants et le travail de leurs parents, et prenant fin dès que des masques auraient pu être fournis et utilisés. Des améliorations simultanées des systèmes de qualité de l’air intérieur auraient considérablement réduit la transmission du Covid-19 et d’autres virus, tout en améliorant la santé, l’assiduité et les résultats scolaires des élèves. Un certain sentiment anti-masque se serait développé au fil du temps, mais lorsqu’il aurait pu devenir prédominant, les améliorations de la qualité de l’air auraient été largement achevées et le port facultatif du masque aurait été possible avec une faible transmission.
Milieu hospitalier
Dans les hôpitaux, le personnel aurait reçu des masques N95 dès les premiers mois et les aurait utilisés en continu, et des améliorations de la qualité de l’air auraient été mises en œuvre. Le personnel aurait cessé d’utiliser des masques chirurgicaux. Des millions de professionnels de santé dans le monde auraient été épargnés par les infections, le Covid long ou les décès, ce qui aurait permis d’accroître le nombre de travailleurs expérimentés disponibles et de réduire les taux de démissions liées au burn out.
Des millions d’hospitalisations et de décès auraient pu être évités grâce aux mesures de réduction des risques prises par la société ; des millions d’infections au Covid-19 contractées à l’hôpital n’auraient jamais eu lieu, évitant ainsi la surcharge et l’effondrement du système de santé que nous connaissons encore aujourd’hui. Des centaines, voire des milliers de milliards de dollars, auraient pu être économisés en coûts de santé à l’échelle mondiale.
Sentiment antivax
Bien que les vaccins contre le Covid-19 existants préviennent l’hospitalisation, les décès et certaines formes de Covid long, leur incapacité à empêcher durablement l’infection avec l’efficacité initialement annoncée par les principaux responsables a probablement contribué à la baisse de l’utilisation des nouvelles formulations. Certaines personnes ont mal compris l’intérêt de la vaccination et ont remis en question l’intérêt des rappels périodiques après avoir été infectées alors qu’elles avaient été vaccinées.
Les mesures de réduction de la transmission aérienne auraient considérablement réduit la transmission virale et, par conséquent, l’évolution, c’est-à-dire la production de nouveaux variants. Par conséquent, cela aurait augmenté l’efficacité moyenne des vaccins en permettant aux formulations mises à jour périodiquement de mieux correspondre aux variants actuellement en circulation, au lieu d’être très en retard. L’efficacité accrue des vaccins et la baisse des taux d’infection auraient contrecarré une grande partie de l’apathie développée par le public, améliorant très probablement l’acceptation de la vaccination.
Une efficacité vaccinale supérieure et une transmission fortement réduite auraient également contribué à neutraliser les discours des sceptiques. La réduction considérable des thromboses, des lésions organiques et des nouvelles maladies chroniques induites par le Covid-19, comme le Covid long (on estime que 400 millions de personnes sont concernées), aurait empêché de nombreuses personnes d’imputer leurs maladies virales aux effets secondaires des vaccins, réduisant ainsi la montée des attitudes anti-vaccinales et le risque que les politiciens instrumentalisent stratégiquement cette sous-culture pour semer la division et conquérir le pouvoir, comme c’est le cas aujourd’hui.
Sentiment anti-masque
Des millions de personnes ont été infectées alors qu’elles portaient des masques en tissu ou chirurgicaux. Cela a contribué à répandre l’idée selon laquelle les masques seraient inefficaces, en dépit de l’efficacité des FFP2. L’utilisation précoce d’équipements de protection individuelle contre les infections aériennes, tels que les FPP2, aurait permis de réduire la popularité du mythe selon lequel « les masques sont inefficaces ».
Aujourd’hui, la politisation du port du masque a donné lieu à des campagnes de désinformation et à de nouvelles interdictions de masques, menaçant non seulement la santé des personnes, mais aussi leurs libertés civiles.
Figure 2 :– Le président Trump proclamant « PAS DE MASQUES ! » et menaçant les universités à cause des manifestations politiques.
Dommages économiques
Comme vous l’avez sans doute déjà compris, la mise en œuvre d’une réponse adéquate, avec port de masques respiratoires et amélioration de la qualité de l’air intérieur, aurait permis à l’économie de fonctionner presque normalement, à quelques exceptions près. Les mesures d’atténuation des effets de la propagation de la maladie auraient été judicieusement ciblées et auraient engendré un minimum de perturbations. Ainsi, les dépenses publiques mondiales destinées à financer l’aide aux citoyens et aux entreprises auraient pu être réduites de plusieurs milliers de milliards de dollars ; ces dépenses auraient pu être ciblées sur les travailleurs et les secteurs les plus touchés, comme la restauration. Cela aurait permis d’éviter la plupart des profits excessifs, les subventions inutiles aux entreprises et le démantèlement des petites entreprises au profit des grandes entreprises, autant de phénomènes qui se sont produits en raison de l’application inéquitable des programmes gouvernementaux.
La réduction massive du choc économique inhérente à une stratégie de réduction des risques aéroportés aurait modifié les politiques pandémiques des banques centrales à l’échelle mondiale et évité une grande partie de la crise inflationniste. Les taux d’intérêt auraient néanmoins baissé à mesure que la pandémie se propageait, mais probablement avec un assouplissement quantitatif bien moindre et un retour plus rapide à des taux et politiques plus neutres historiquement. La capacité des chaînes d’approvisionnement logistiques à fonctionner avec beaucoup moins de perturbations graves aurait également évité une grande partie des hausses observées des coûts des intrants et de fabrication, réduisant encore davantage les pressions inflationnistes.
Les dettes souveraines nouvellement générées, de plusieurs milliards et milliers de milliards de dollars, qui pèsent actuellement sur la stabilité sociopolitique et économique mondiale, auraient été considérablement réduites. La reprise économique en « K », caractérisée par une stratification des richesses entre les riches et les pauvres/la classe moyenne, aurait été moins marquée. Une inflation et une dette publique plus faibles auraient pu empêcher des millions de personnes de tomber sous le seuil de pauvreté.
Désunion et polarisation de la société
La désunion et la polarisation sociales d’aujourd’hui sont multifactorielles, mais découlent en partie de plusieurs changements clés qui affectent les personnes et leur environnement – à savoir l’augmentation de la pauvreté, l’érosion du pouvoir d’achat, les traumatismes et le deuil non accompagnés, la détérioration de la santé physique et mentale et la promotion descendante de directives telles que « fais ce que tu veux » – l’idée antisociale impliquant que les gens ont le droit d’infecter et de nuire aux autres de manière imprudente dans la poursuite de leur propre intérêt.
Une atténuation des risques aéroportés aurait permis d’éviter une désunion et une polarisation importantes, même en faisant abstraction de la réalité des lésions cérébrales induites par le Covid, du lien étroit entre l’infection et l’apparition de nouveaux troubles mentaux, et des hypothèses sur les impacts potentiels sur la personnalité. Beaucoup moins de personnes seraient accablées par le deuil ou une maladie chronique ; moins nombreuses seraient celles qui se seraient tournées vers le déni, les théories du complot ou les explications antiscientifiques pour se consoler. La dépression liée à l’isolement social aurait été plus faible. Un pouvoir d’achat relativement meilleur aurait diminué le stress persistant lié à l’obtention des biens de première nécessité, le sentiment généralisé d’impuissance face à dépendance aux entreprises et, par conséquent, l’apathie et les comportements antisociaux. La politisation des désaccords ainsi que l’incitation à la haine par les politiciens et les acteurs malveillants auraient pu être réduites, le terreau étant moins fertile pour semer la désunion. Par conséquent, les dirigeants ultérieurs n’auraient peut-être pas adopté des perspectives aussi profondément antiscientifiques, et nous ne serions peut-être pas sur la voie politique précaire que nous empruntons aujourd’hui.
Un monde fracturé
Malheureusement, en grande partie à cause de l’incapacité à identifier et à agir face au problème fondamental posé par la pandémie – la transmission aérienne du Covid-19 – nous vivons dans un monde fracturé. Les problèmes qui en découlent continuent de s’aggraver dans tous les aspects de la vie.
Au lieu de véritablement résoudre le problème fondamental, les entreprises et les responsables politiques nous ont un jour annoncé que la pandémie était terminée. Nous avons décidé d’accepter. Prétendre que le problème était résolu semblait facile, et le deuil non maîtrisé de la perte de l’ère pré-Covid continue de renforcer cet état d’esprit.
En effet, depuis des années, les CDC (Center for Disease Control, Centres pour le contrôle et la prévention des maladies) s’attachent à recommander aux gens de se laver les mains pour prévenir la propagation du Covid, malgré le fait que leurs propres rapports estimaient à moins d’une sur 10 000 le risque d’infection par le Covid par contact avec une surface contaminée par le virus. Autrement dit, certaines des principales communications de santé publique restent totalement déconnectées des preuves scientifiques. Rochelle Walensky, alors directrice des CDC, a même publiquement stigmatisé notre outil de prévention le plus efficace, déclarant que « le masque est la lettre écarlate de cette pandémie ». Imaginez si elle avait dit quelque chose de similaire à propos des vaccins.
Nous nous sommes exposés à plusieurs reprises, nous et nos enfants, à ce virus, et la plupart d’entre nous ne sont même pas vaccinés avec la dernière formule. L’incapacité à accepter l’idée que les infections virales nous nuisent, contrairement à l’exposition aux bactéries commensales, a contribué à l’adoption sociale du principe selon lequel tomber malade améliore la santé grâce à l’immunité. L’immunité étant de courte durée pour le Covid et de nombreux autres virus, ce discours permet principalement à ceux qui, autrement, se sentiraient démunis, de nier la réalité plutôt que d’accepter des dommages évitables et généralisés, notamment la possibilité de « lésions organiques silencieuses ». Ce discours a également alimenté le mouvement anti-vaccination avec l’idée que l’infection est « naturelle » et meilleure que la prophylaxie.
Le plus accablant est peut-être que des personnes vulnérables dans les hôpitaux et les cliniques continuent d’être abandonnées à leur sort, souffrant et mourant d’infections nosocomiales, parce que les décideurs refusent toujours de mettre en œuvre les mesures nécessaires à la prévention de la maladie, alors même que la transmission aérienne est désormais clairement codifiée. En tant que bioéthicien en exercice, examinant régulièrement les rapports d’événements indésirables concernant des patients vulnérables décédés d’infections nosocomiales au Covid-19, et d’autres agents pathogènes transmissibles par voie aérienne, je trouve cette situation profondément inquiétante.
La vie ne sera jamais vraiment confortable ni réconfortante si nous fermons les yeux sur la propagation de maladies dangereuses et invalidantes dans nos communautés. Le déni et l’inaction ne sont pas des solutions. Exiger un air pur, tout comme exiger une eau propre, est la solution. Nous devons tirer les leçons de cette situation afin d’enrayer la propagation du Covid-19 et d’éviter les conséquences les plus graves de la prochaine pandémie, qui pourrait survenir à tout moment.
Et il s’agira probablement d’un autre virus aéroporté.